Quel rôle pour l’économie sociale et solidaire ? – par Jean-Marc Soulodre
Associations, coopératives, fondations, mutuelles, entrepreneurs sociaux : avec près de 2,5 millions de salariés, le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) compte bien jouer un rôle dans l’organisation de l’après-crise. Comment les acteurs de l’ESS ont-ils traversé cette séquence ?
L’économie sociale et solidaire s’est retrouvée, durant cette crise sanitaire, dans « une situation paradoxale » selon les termes mêmes du Conseil Supérieur de l’Économie Sociale et Solidaire (CSESS), dans un avis daté du 12 mai sur « le rôle et la place de l’économie sociale et solidaire de cette sortie de crise ». En effet, si nombre de ses acteurs se sont retrouvés en première ligne, de très nombreuses organisations de l’ESS ont vu leur activité stoppée, « avec des incertitudes quant à leur situation financière », précise le CSESS.
Comment alors préparer l’avenir ? Les acteurs de l’ESS réunis au sein du Conseil Supérieur ont été chargés par le Haut-commissaire à l’Économie Sociale et Solidaire et à l’Innovation Sociale, de rédiger une contribution pour répondre à l’urgence de transformation écologique et solidaire. « Parce qu’elle est, avec ses mutuelles, coopératives, associations, fondations et entrepreneurs sociaux, au cœur des solutions de repérage et de prise en charge des malades et des personnes fragiles, ou encore parce qu’elle se mobilise fortement au nom de sa responsabilité sociale dans l’émergence de solutions, l’avenir devra rendre justice au présent. L’ESS doit sortir renforcée de cette crise ; elle est d’ores et déjà pleinement actrice de la transformation de notre modèle de développement économique, qui peut prendre la forme d’un “new deal” de la transition » détaille le CSESS. Dans cet avis intitulé « L’ESS au cœur d’un “New Deal” de la transition, Contribution du CSESS à un plan de sortie de crise et de transformation de l’économie », le Conseil supérieur propose notamment d’identifier les problématiques de territoires post-crise; de renforcer les compétences et les interventions des collectivités territoriales en faveur de l’ESS; d’accentuer la formation; de développer les solutions coopératives et la finance solidaire.
Le témoignage de :
Jean-Marc Soulodre, Directeur de l’Innovation, du Développement et de la communication du FASTT
Le Fonds d’Action Sociale du Travail Temporaire (FASTT) est la plateforme d’animation de la politique sociale au bénéfice des intérimaires, comment ces intérimaires que vous aidez ont-ils traversé la crise ?
Cette crise sanitaire, sans précédent, a percuté de plein fouet la vie économique et sociale du pays. La pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement ont conduit un grand nombre d’entreprises à ralentir, voire interrompre totalement, leur activité. Ce coup de frein brutal a laissé sans emploi une grande majorité de salariés intérimaires. Les enseignes de travail temporaire ont fait état au mois de mars de taux de réduction de leur activité qui variaient entre 60 % et 90 % selon les secteurs d’activité sur lesquels elles opèrent. Si le travail temporaire est reconnu pour anticiper les évolutions économiques, force est de constater que personne n’a vu venir cette crise inédite. Inédite par sa soudaineté. Inédite par sa brutalité.
Vous êtes un acteur de l’Économie sociale et solidaire, comment qualifieriez-vous le rôle joué par tous les acteurs de l’ESS, quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté ?
Les acteurs ont rempli deux rôles majeurs pendant cette crise. Le premier fut de maintenir puis renforcer le filet de sécurité que ces acteurs ont tissé pour permettre, autant que possible, aux plus démunis de ne pas décrocher socialement. Surpris par la soudaineté des mesures de confinement, nous avons dû nous organiser pour continuer, autant que possible, à apporter les aides et services nécessaires. S’il y a eu des ruptures de services et des décalages de prestations, certains dispositifs ont été rétablis assez rapidement. Au FASTT, nous avons dès les premiers jours, organisé avec nos partenaires, le maintien des activités pour continuer à répondre aux demandes de logement, de mobilité, de santé que nous recevions encore des salariés intérimaires. Nous nous sommes aussi organisés pour anticiper sur les mois d’avril et mai une très forte vague de demandes sociales, de personnes en situation de précarité subite.
Pour y faire face, les partenaires sociaux du travail temporaire, au travers du FASTT, se sont préoccupés du sort des plus vulnérables, ceux n’ayant plus ni activité, ni allocations chômage. Ainsi, dès le 7 avril, un service social de crise a été construit en un temps record pour accueillir en nombre croissant, les situations difficiles et délivrer, sous 48 heures des aides d’urgence alimentaire. D’autres acteurs de l’économie sociale et solidaire se sont aussi fortement mobilisés, ainsi que des entreprises d’assurance, des institutions de prévoyance et de retraite ou encore Action Logement. Le second rôle tout aussi important fut de monter au créneau, aux côtés des partenaires sociaux, pour apporter à l’État, une vision plurielle et nuancée des difficultés rencontrées par des catégories de Français parfois « oubliés » des politiques publiques. Par exemple des salariés dont les statuts sont dits « atypiques », c’est-à-dire ceux qui ne disposent pas d’un CDI. Car le CDI reste encore la norme lorsque les pouvoirs publics réfléchissent à un dispositif. Ainsi, l’activité partielle ne couvrait pas les salariés intérimaires. Les acteurs ont œuvré pour faire reconnaître par l’État, un recours possible de l’activité partielle pour les intérimaires. Une grande victoire pour faire reconnaître les droits de ces salariés.
Le conseil supérieur de l’Économie sociale et solidaire estime que L’ESS est au cœur d’un « New Deal ». Quel est selon vous, l’enjeu majeur pour que l’ESS ressorte renforcée de cette crise et apparaisse comme porteuse de solutions ?
Il me semble que l’enjeu majeur est de mettre en lumière ce que l’économie sociale et solidaire a apporté dans l’ombre, pendant cette crise. Car si les projecteurs ont été braqués sur notre système de santé, qui mérite en effet d’être revalorisé, il y a aussi un système de protection des individus qui, sans lui, aurait conduit à une catastrophe de plus grande ampleur. Valoriser ce système porté en particulier par les acteurs de l’économie sociale et solidaire, et aussi par les acteurs économiques au sens large, permet de placer l’homme au centre. Et d’ainsi continuer à offrir ce filet de sécurité pour tous. Un filet qui protège les salariés quels sur soient leurs statuts.